Par Fatima Ezzahrae (FZ) Hamidi et l’équipe Parresia (I.T.)

Peut-on demander à la justice qu’elle nous venge ? Chez Parresia, nous avons estimé que le procès des attentats de Bruxelles rendait cette question d’autant plus d’actualité. Nous sommes donc allé·e·s à la rencontre de Stanislas Eskenazi, avocat de Mohamed Abrini, “l’ homme au chapeau”. Son client est accusé de participation aux attentats de Zaventem, participation aux attentats de Maelbeek et appartenance à un groupe terroriste. Dans le cadre du procès des attentats de Paris, Mohamed Abrini a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité assortie d’une peine de sûreté de 22 ans.

Stanislas Eskenazi nous a reçu dans son bureau Place Madou, juste en face de la fameuse Tour du même nom, mais surtout dans le même bâtiment que le Vlaams Belang. Le conseil du fameux “homme à chapeau” et le parti classé à l’extrême-droite, qui partagent une même adresse ? Ça ne manque pas d’étonner, surtout quand on sait que l’avocat nous encourage justement à discuter avec tout le monde.

Ouvrir le débat

La différence entre sociétés civilisées et barbares, c’est qu’on discute. Même si j’exècre ce que l’autre pense, je veux qu’on puisse discuter et qu’il le dise, pour savoir où on va, déjà - enjeu de sécurité ! - et pour ouvrir la porte.”

C’est ce que nous répond Me. Eskenazi lorsqu’on lui demande de revenir sur l’une des déclarations de son client lors du procès des attentats de Bruxelles. C’était lors de la séance du 5 avril dernier. Selon M. Abrini, il fallait se demander comment dissuader les jeunes de partir combattre à l’avenir. Condamner est une chose, expliquait l’accusé, mais l’État islamique a toujours existé, selon lui, puisqu’il y’a eu Daesh, et le califat ottoman aboli en 1924, sans oublier l’État de Médine fondé par le Prophète de l’Islam en l’an 622… Nous avions été interpellé·e·s par cette lecture de l’Histoire. Est-ce que pour M. Abrini, Daesh est comparable à l’État fondé par le Prophète à Médine ?

Organiser un procès à Paris ET à Bruxelles ? “Je voulais un seul procès pour les deux attentats”. En droit, lorsque des faits de même nature ont été commis, on peut décider de juger ceux-ci non pas un par un, mais dans leur ensemble, parce qu’on considère qu’ils sont “animés d’une même intention délictueuse”. “On a voulu matraquer les gars ! (…) On a une même organisation, un même groupement, ils viennent des mêmes quartiers. C’est un cas d’école. L’avocate générale m’a répondu en disant qu’il y avait des raisons politiques, organisationnelles … Je n’en crois rien.”

Organiser le procès de Bruxelles à Evere plutôt que dans le centre ? “Un endroit éloigné de Bruxelles, comme si on avait quelque chose à craindre de ces gars, alors qu’on ne doit pas les craindre, on doit les combattre !”

On se souvient de la fameuse affaire des “couacs” qui a rythmé les débuts du procès des attentats de Bruxelles. “Couacs”, parce que le moment où les parties civiles auraient pu s’exprimer a été retardé par les débats portés par la défense sur les traitements subis par les accusés. “Il n’y a pas eu de couacs, ce sont des fautes de procédure constatées par le juge !”, s’exclame l’avocat. “ Les accusés viennent d’une prison de haute sécurité, on leur met des lunettes occultantes, de la musique à fond, puis ils se retrouvent dans un box en verre en pleine lumière, eh bien ils sont tout de suite coupable à vos yeux !”

Quand les faits jugés sont aussi graves, on peut s’attendre à ce qu’on ne prête pas beaucoup d’attention aux droits des accusés (qui, on le rappelle, bénéficient toujours de la présomption d’innocence). Mais c’est justement dans ces moments-là que l’État de droit doit intervenir. “Si on ouvre la boîte de Pandore, on brûle les accusés sur la place publique, c’est aussi simple que ça ”.

L’avocat défend, la justice sanctionne et réinsère

Lorsqu’on lui a proposé de défendre Mohamed Abrini, Stanislas Eskenazi n’a pas hésité une seule seconde. Comme le lui a enseigné un de ses professeurs, si tu es avocat, tu ne peux pas refuser. Plus une personne est considérée comme “crapuleuse”, plus M. Eskenazi estime qu’elle “doit être défendue”.

C’est une certaine conception du rôle de l’avocat que défend M. Eskenazi, et il a également une idée précise de la mission du système pénal. Toute personne, sauf si elle est malade, doit être considérée comme réinsérable. Y compris, donc, les personnes qui seraient accusées et condamnées dans le cadre du procès des attentats.

Quant à la justice, oui, elle souffre. Elle manque de moyens, elle manque d’effectifs, mais on peut dire que l’institution remplit son rôle, tant qu’on “laisse” l’avocat remplir sa mission de défendre son client. Et à condition de bien comprendre la mission de l’institution judiciaire. “La justice n’a pas pour objet de venger. L’objet de la justice, c’est de sanctionner, et, de réinsérer.”

Discuter avec tout le monde, défendre celleux qu’on a le moins envie de représenter… Aussi nécessaires que ces positions puissent paraître, elles restent étonnantes pour beaucoup de monde. C’est pour cela que nous avons été assez étonnées lorsque M. Eskenazi nous a expliqué que la toge était pour lui un élément essentiel dans l’exercice de sa mission. À priori, M. Eskenazi renvoyait plutôt l’image de l’avocat qui, dans son rejet du prêt-à-penser, plaiderait en “civil”, à l’image des curés en costume de motard.
Mais non. Tout comme la présence (ou non) d’un boxe hermétique pour les accusés, la toge donne un signal. L’avocat porte un costume, tout comme les juges, tout comme les procureurs : quelle que soit la position défendue, ils font partie du même monde.

La toge, le décorum , la procédure : des conditions qui, en uniformisant, mettent tout le monde à égalité, afin de mettre en lumière l’histoire unique de chacun.e, pour que justice soit faite, en toute humanité. En s’en allant, on repasse par les bureaux du Vlaams Belang. Sans relever, cette fois-ci. Si l’institution judiciaire peut installer victimes et auteurs d’attentats dans la même salle, l’avocat de l’homme au chapeau et le Vlaams Belang peuvent bien partager un même immeuble.